GENRE HUMAIN 
JUILLET 2015 –   PALAIS JACQUES COEUR – BOURGES 

Claude Lévêque propose Genre humain au Palais Jacques Coeur de Bourges à l’occasion des 30 ans d’Emmetrop. L’exposition réunit les œuvres d’une trentaine d’artistes parmi ceux qui l’ont accompagné son travail ces 30 dernières années.

ARTISTES

Genre humain  à Chris Burden 

Avec Martine Aballéa, Pierre Ardouvin, Joseph Beuys, Fabien Boitard, Christian Boltanski, Simon Boudvin, Anne Brégeaut, Guillaume Constantin, Erik Dietman, Edi Dubien, Laurent Faulon, David Hammons, Mona Hatoum, Pierre Huyghe, Michel Journiac, Carlos Kusnir, Bertrand Lavier, Jonathan Loppin, Bérénice Merlet, Annette Messager, Anita Molinero, Armand Morin, Tania Mouraud, Cady Noland, Gerome Nox, Gina Pane, Françoise Petrovitch, Ugo Rondinone, Haim Steinbach, Alan Vega, Jérôme Zonder.

Commissariat Damien Sausset, Erik Noulette et Nadège Piton


PRÉSENTATION

Artistes d’attitudes, d’horizons et générations divers, tous traitent la question du langage autour des mythologies personnelles singulières, des dérives des rituels quotidiens et des rêves extravagants de la métamorphose. »   Claude Lévêque

A l’échelle des corps Le Palais Jacques Cœur paraît avoir été bâti sur mesure pour Claude Lévêque avec une situation en surplomb, un donjon et une silhouette de château de conte de fée. Le lieu est d’ailleurs coutumier de l’artiste. Enfant, il l’a souvent arpenté et aussi lorsqu’il était étudiant à l’école des Beaux Arts de Bourges, située à une centaine de mètres de là. L’endroit a ainsi laissé une empreinte dans son imaginaire, que l’exposition Genre Humain, organisée pour les trente ans de l’association Emmetrop, matérialise. Lorsque les commissaires de l’exposition, Erik Noulette, Nadège Piton et Damien Sausset lui ont donné carte blanche pour occuper les intérieurs du monument, Claude Lévêque a eu l’idée de présenter, selon un parcours scénographié, les œuvres de trente artistes parmi ceux dont les démarches l’avaient particulièrement touché, ou influencé. Les œuvres présentées dans les méandres du Palais Jacques Cœur, tout en préservant leur singularité, chacune dans un espace dédié, traitent ainsi de thématiques chères à l’artiste. La religiosité sans Dieu, l’attirance et le rejet, les espaces mentaux, le naturel et l’artifice, l’urbain et le rural, le rapport au corps, l’enfance, les mythologies personnelles, les objets usuels et la faillite des systèmes imprègnent ainsi l’exposition. Quelques absents hantent les vides du labyrinthe, forcément. Felix Gonzalez-Torres, qui tout comme Claude Lévêque mêle intimement des portions de vie privée aux codes de l’art minimal aurait trouvé sa place dans le monument. De même que les assemblages constitués de peluche de Mike Kelley, ses Missing Times, ou encore Educational complex. Le choix final a été déterminé par les espaces intérieurs du palais dont aucun angle n’a été délaissé. Pourtant, les œuvres choisies ne sont nullement monumentales. Au contraire, de tailles humaines, intimes et presque fragiles, pour la plupart, elles distillent une atmosphère poétique et sensible, épousant avec une étonnante unité les espaces qu’elles révèlent. L’exposition est organisée selon un parcours qui traversent les quatre niveaux de l’édifice, de la cave aux combles. Les artistes présentés sont nés entre 1921 et 1984, de fait, l’exposition montre un spectre chronologique de l’art d’un demi siècle. La traversée de l’histoire de l’art qui nous est livrée par bribes est cependant très loin d’une démonstration d’historien. Les œuvres apparaissent comme les marqueurs savants d’une connaissance sous forme d’image, en dialogue avec les motifs et l’architecture. L’exposition s’apparente ainsi à une table d’orientation tridimensionnelle grâce à laquelle l’espace mental du visiteur prend corps, dans une sorte de pleine présence guidée par le regard que Claude Lévêque porte sur l’art. La première œuvre à peine visible est Pain d’Erik Dietman superposée au motif d’une fresque murale carrée avec laquelle elle fusionne. Le mot « Pain » est formé de véritables baguettes qu’il s’agit de changer régulièrement afin quelles conservent leur belle tenue. On ne peut signifier de manière plus simple le désir de donner corps aux mots qui non seulement ici se matérialisent, mais qui plus est, sous la forme d’un aliment de base qui réveille avec humour les rituels chrétiens. Sur le mur attenant, Rising ritual rest d’Ugo Rondinone est également si bien intégrée qu’elle se confond à la structure du château, formant un trompe l’œil. Il s’agit pourtant de la pièce la plus monumentale de l’exposition, une fausse porte de bois en résine et métal peinte en gris. Tout passage fermé donne envie de savoir ce qui se trouve derrière. Celui-ci, parce qu’il semble solidement verrouillé, actionne un mécanisme d’attirance et de rejet, pour finalement évoquer l’inaccessible. Heureusement sur le même mur, une ouverture consolatrice laisse apercevoir Initiation room n° 1 de Tania Mouraud (1942), une maquette épurée constituée d’un simple cube blanc disposé sur une table, comme la projection d’un espace abstrait et immaculé. Au loin, dans une niche creusée dans le mur de la pièce plongée dans l’obscurité brille Capri Battery de Joseph Beuys. L’œuvre composée d’un citron et d’une ampoule d’un même jaune lumineux résume à merveille la question du naturel et du factice. À gauche dans le couloir, Sombernon de Bertrand Lavier, un panneau de signalisation routière, un dessin qui codifie le village de Sombernon, est recouvert de peinture acrylique. Grâce aux touches picturales épaisses l’objet retrouve une matérialité et s’érige face à une urbanisation intempestive, pilotée administrativement aux dépends du développement des régions rurales. Précisément disposée dans un lieu de passage, il fait aussi écho à la manière fugace par laquelle on perçoit les panneaux disposés sur l’autoroute. Quant aux photographies de l’Action au lait chaud de Gina Pane présentés un peu plus loin, elles traitent d’une réappropriation du corps par l’individu, serait-ce par le biais de l’auto douleur infligée, dégagée de tout plaisir masochiste. À partir de l’œuvre de Pane un choix s’amorce. Le visiteur qui ne peut ignorer le son de castagnettes amplifié qui se propage joyeusement dans les espaces du rez-de-chaussée peut soit poursuivre sa visite, soit se diriger là où provient le son. En faisant le deuxième choix, il accède à un escalier de pierre descendant qui conduit à une cave, le lapidaire du palais plongé dans l’obscurité où Claude Lévêque a réalisée Chiens de Diamants, un de ces projet spécifique « in situ » dont il a le secret. Des morceaux de statues – anges, gargouilles, démons et autres créatures fantasmagoriques – sont disposés sans autre mise en scène qu’un système d’éclairages directionnels qui ramène à la lumière ces êtres de pierre oubliés. Les cris muets des faciès dévoilés par les halos lumineux blancs sont absorbés par le son grisant des castagnettes qui provient de derrière une porte condamnée. La fête se poursuit ailleurs, hors de portée du visiteur. Hormis la mise en lumière, l’artiste est peu intervenu sur la disposition des statues. Il a simplement ajouté de ci, de là des cuillères à dessert suspendues qui semblent flotter comme après le passage d’un « poltergeist ». L’exposition Genre humain continue au rez-de-chaussée avec un dessin de grand format de Jérôme Zonder réalisé au fusain et mine de plomb sur papier. Eclairé par une source lumineuse issue d’une boîte noire carrée posée au sol, la représentation semble jaillir tel un diable de sa boîte, comme un soudain mirage. Un enfant debout est représenté de face, à une échelle deux ou trois fois supérieur au réel. À la place de son visage et d’une partie de ses vêtements est substituée une scène dans laquelle on voit un couple. Maladroitement dessinés, un chat au sourire naïf, qui rappelle celui d’Alice au pays des merveilles, et un parterre de marguerites blanches, complètent la petite scène. Ombre et lumière – conscient et inconscient – s’animent dans un clair obscur féérique. Une photographie en noir et blanc de Simon Boudvin suspendue dans un petit cabinet en enfilade montre un parking souterrain, le plafond rythmé de barres de néon blême. L’image sobre contrecarre l’univers onirique de Zonder et rappelle que les individualités sont modelées et uniformisés par les objets standard qui régulent les collectivités. Nous venons de parcourir le rez-de-chaussée. Sur le même rythme sensible l’exposition se poursuit à l’entresol, au premier étage et dans les combles avec encore une vingtaine d’œuvres de pareille intensité dont celles de Pierre Huyghe, Cady Nolan, Alan Vega, Michel Journiac, Bérénice Merlet, Pierre Ardouvin, Laurent Faulon, Anita Molinero, Armand Morin et bien d’autres encore…. Genre Humain s’achève dans la chapelle du palais. Là trône une remarquable piétà magnifiée par l’œuvre de Gérome Nox, un simple son qui clôture dans l’ascèse la traversée du château.


Au sein de l’AAARevue, il n’est pas dans nos habitudes de rédiger des chroniques ou des critiques d’expositions. Cet article, d’ailleurs, n’est ni l’une ni l’autre. Il s’inscrit dans notre ligne éditoriale générale, explorant plutôt la fabrique de l’art contemporain et ses coulisses.

L’exposition Genre Humain, visible à Bourges depuis le 12 juin (et jusqu’au 4 octobre) articule plusieurs problématiques et autant de partenaires, telle une équation dont les données seraient :

Un édifice du XVème siècle, chef-d’œuvre de l’architecture gothique tardive (un des dix monuments nationaux de la région Centre Val-de-Loire) : le Palais Jacques Cœur, à Bourges. Une association désormais trentenaire agissant en tant que plateforme expérimentale dédiée aux pratiques artistiques émergentes, et comprenant un centre d’art contemporain : Emmetrop (basée sur une friche punk historique « la friche L’antre-peaux », actuellement en pleine réhabilitation). Un artiste français de premier plan et de dimension internationale, complice de longue date de l’association Emmetrop : Claude Lévêque. Trente artistes de générations différentes, trente œuvres choisies par Claude Lévêque telle une « anthologie personnelle » entrant « en écho » avec son « aventure des années 80 à nos jours ». L’exposition GENRE HUMAIN, 30 ANS EMMETROP, sous-titrée Cabinet de curiosités au Palais Jacques Cœur compose à mes yeux une véritable alchimie.

Si j’ai déjà eu l’occasion, par le passé, de visiter sous les auspices d’une exposition d’art contemporain cette « grand’ maison » (créée par la volonté du riche marchand Jacques Cœur, construite de 1443 à 1453, elle est la propriété de l’État depuis 1925, gérée par le centre des monuments nationaux), elle prend à travers cet accrochage subtil une nouvelle dimension.

Le parcours de visite propose un dialogue itératif entre la circulation de son propre corps dans l’espace et dans l’architecture, et entre ces espaces architecturés et les œuvres. La dimension « domestique » rejoint celle du langage, l’histoire entre en collision avec des mythologies singulières, le quotidien le plus trivial côtoie les métamorphoses les plus extravagantes.

Au sein de ce parcours, des espaces sont ouverts de façon inédite. Tel le dépôt lapidaire qui se trouve, littéralement, auréolé de l’éclat froid et merveilleux de cuillères dans le dispositif spécifique
 conçu par Claude Lévêque : « Chiens de diamants » (conception sonore en collaboration avec Gerome Nox).

Pour conclure cet article, je m’efface derrière les mots d’Erik Noulette, Damien Sausset et Nadège Piton (équipe du Transpalette – Emmetrop) qui ont écrit à Claude Lévêque un texte à la hauteur de cette expérience merveilleuse :

« Cher Claude, On n’est plus du tout sérieux quand on a une existence de 30 ans et qu’on s’appelle Emmetrop. Nous aussi comme les vieux amants, il nous a fallu vieillir sans devenir adulte. Voir et vivre la gravité folle du monde autour et devant nous. Ne pas se laisser aller à trop de renoncements de notre jeunesse agitée et bruyante. Ces trente années d’activisme par l’art, on te les doit. Tu as su être simplement, vraiment là, à nos côtés, complice radical, avec toujours l’exigence des amis vrais. Il est des fidélités qui n’ont pas besoin de mariage, juste de liberté et d’amour.

GENRE HUMAIN, tu l’as voulu avec nous. Mirifique cadeau. Un désir déterminant, comme en 1992-1993 avec le projet « Appartement occupé », de faire bouger des lignes, ensemble. Aller contre vents et marées vers une proposition de forme inédite pour toi comme pour nous. Aujourd’hui, tu as créé « Chiens de diamants » dans un sous-sol du palais, nous ne pouvions l’envisager autrement. Tu as aussi ouvert avec générosité, aux publics, ton bestiaire secret, ton intime de l’art contemporain.

GENRE HUMAIN éclaire notre ciel d’une parcelle de ta constellation de supers héro(ïne)s de l’art.

GENRE HUMAIN comme un spécial mix, une « playlist » de faiseurs et défaiseurs de mondes.

Merci, Claude, de continuer à nous donner ces émotions hors normes faites de tendresse et de détermination ; qu’il s’agisse de ton plein engagement pour la concrétisation de ce projet pour lequel nous co-voyageons depuis plus d’un an avec le Centre des monuments nationaux ; qu’il s’agisse de ta fière façon de parler sans emphase des artistes et des œuvres qui te bouleversent ; qu’il s’agisse de ces moments forts, plus que magiques, du décaissage des pièces/ organes de Genre Humain. Ton plaisir manifeste. Et notre trouble partagé face à ces trente-deux parties d’artistes en transit de ta tête aux murs d’un palais de conte de prince. Amour indéfectible, Erik, Damien, Nadège / Transpalette – Emmetrop